Entretien Avec Nick B « Le fast-food musical et le buzz ne sont pas des obligations »

Publié le par Félix Mbetbo

Entretien Avec Nick B « Le fast-food musical et le buzz ne sont pas des obligations »

Je suis allé à la rencontre d’Heyndricks Bile, plus connu sous le pseudonyme de Nick B. l’un des plus grands, si ce n’est le plus grand, chroniqueurs culturel que le Cameroun a eu la chance de connaitre. C’est un personnage dont le calme et la discrétion cachent une extrême profondeur. J’ai appris à écrire à force de le lire. Et j’ai beau forcer, sa plume seule pèse que l’ensemble de tous mes écrits. Je l’appelle maitre ! Il maitrise tout ce qu’il touche avec une érudition hors du commun. Il parle peu, pourtant il a tout à dire, il écrit peu pourtant il peut écrire sur tout. Au lendemain de la fête de la musique, j’ai voulu avoir son appréciation sur un ensemble de questions afin de jeter un pavé de pensée dans la mare de nos idées.

 

 

La jeune génération ne connaitra apparemment pas ce qui et celui qui se cache derrière le pseudonyme de Nick B. Or ta plume a longtemps bercé les colonnes du magazine 100% Jeunes à ses heures de gloire, quels sont les souvenirs que tu gardes de cette aventure ?

L’expérience 100%Jeune fut très passionnante. Cet ambitieux projet disposait d’un staff soudé et travailleur, d’encadreurs honnêtes et ouverts et de ressources logistiques suffisantes au service d’un public lui-même très réceptif. Nous avions, en moyenne, 22 ans. Nous produisions 100.000 exemplaires de journal (le plus grand tirage de la presse magazine en Afrique centrale entre 2000 et 2015) qui s’écoulaient en…deux jours. Beaucoup de gens ne savent pas : 100%Jeune fut aussi un véritable creuset d’intelligences vives et incisives telles Valsero, Patrick Ermano, Aretha Mbango, Jean Christian Awono, Eric Christian Nya, Bertrand Dimody, Gaelle Moudio, Dania Ebongue, Gerard Tedom, Debbie Nkembe, Ebah Essongue, Gaelle Tjat, Vitalis Tanteh Nji, Joseph Dzene, Mbah Marinus, Almo The Best et j’en oublie. J’ai beaucoup appris aux côtés de ces génies, autant que j’ai grandi sous l’encadrement de nos superviseurs de l’époque.

 

 

 

Tu as choisi dès le départ de consacrer tes chroniques à la musique urbaine, au moment même où cette musique n’avait pas encore voix au chapitre, quelle a été ta motivation ?

 

Rien d’autre qu’un désir de donner de l’intellectualité et davantage de visibilité à un mouvement qui était balbutiant mais déjà porteur de belles promesses. A l’aube des années 2000, le hip-hop Kamer était très loin d’être un jeu, un «Game» comme aujourd’hui. C’était Daech avant l’heure, une sphère de guerriers, une secte tenue par une poignée voire d’illuminés de la scène (Krotal, Bilik, Negrissim, B-Zy…), de moudjahidin de l’arrière scène (Blaise Etoa, Hans Mbong, Michel Enyegue, Alex Siewe, Jft Talla, Red Zone…), de kamikazes des media (Tito, Eric Christian, Idrissou Arabo…), etc. Personne ne croyait en eux. Pour avancer, ils n’avaient pour carburant que leur foi et leurs solidarités. Dans la presse, il n’y avait nulle part de critique régulière du hip hop K-Mer ; comme si ce mouvement manquait de consistance, de cohérence structurelle ou d’intellectualité. J’ai lancé la chronique mensuelle «CODE» dans 100%Jeune-Le Journal pour combler ce vide. Plus tard, lorsque j’ai quitté la rédaction de 100%Jeune, le site Kamerhiphop (ancêtre de CulturEbene) a pris le relais.

 

 

 

Il y’a quelques années tu as décidé de jeter l’éponge et ne plus rien écrire sur cette musique urbaine. C’est parce que tu pensais avoir déjà tout dit, ou qu’elle ne donnait plus matière à penser ?

 

(Rires) Non, je n’ai pas jeté l’éponge et tout n’est pas dit. Il reste beaucoup à dire. Simplement, nous avons la chance d’avoir désormais une génération de jeunes et talentueux chroniqueurs qui le disent mieux. Ils s’appellent Felix Tatla, Dariche Nehdi ou encore Atome. Je les lis avec délectation, des lointains exils où mes obligations professionnelles m’ont plongé.

 

 

 

Depuis près de 5 ans, on observe une montée en puissance d’une nouvelle génération dans la musique urbaine et en même temps le retrait de l’ancienne génération bien que ses acteurs soient encore en activité, quel regard portes-tu sur cette situation ?

 

Le renouvellement de la scène est normal et ne devrait jamais être querellé ou retardé. Ce qui importe et mérite d’être questionné, de mon point de vue, ce sont la capacité de re-création ou d’innovation, les mécanismes de transition, la qualité des offres nouvelles et la préservation des acquis. S’il est illusoire d’avancer en niant le passé, il reste autant vain de vouloir progresser en étouffant l’avenir.

 

 

 

 

Quelle appréciation peux-tu donner des récentes productions des musiques urbaines populaires au Cameroun ces dernières années ?

 

Il y a du bon et du moins bon. D’aucuns diront davantage de moins de bon… Je préfère ne pas rentrer dans ce débat et garder à l’esprit la maturité textuelle de Valsero et Krotal, les prouesses rythmiques de X Maleya, l’éruption mercatique de Stanley Enow, les efforts de fusion de Featurist ou Tenor, la consistance artistique de Jovi et Boudor, l’originalité de Thierry Bertrand, la fraicheur vocale des Dynastie Le Tigre, Locko, Mister Leo, etc.

 

 

 

 

Bobby Shamahn disait à une époque que «le rap camerounais est médiocre», tout récemment le producteur Torpedo a taxé nos artistes comme étant incapables de faire de la vraie musique et de produire de vrais spectacles, j’imagine que tu penses pareil ?

 

La scène urbaine camerounaise est plus riche de météorites que d’artistes. C’est une lapalissade. Il semble néanmoins excessif d’enfermer toutes les productions nationales dans la médiocrité et l’amateurisme. Non, le talent n’a pas foutu le camp. Ce sont les raccourcis vers la gloire qui se sont démultipliés ; le parti pris général pour l’éphémère qui s’est imposé. Le fast-food musical et le buzz ne sont pas des obligations. Ce sont des options. Ce sont des drogues qui ont leurs ingrédients (sexe, arrogance, bruits, fringues, violences), leurs dealers (beatmakers, vidéastes, web influenceurs), leurs repères (nombre de vues sur YouTube, fausses tournées africaine/européenne/américaine), leurs supports média (Trace TV, chaines FM, Facebook, YouTube) et leurs publics. Le drame actuel des musiques urbaines n’est pas l’absence de talents. C’est le culte de l’ivresse, l’indicible dépendance de la masse à ces deux drogues, au point de ne plus distinguer le délire et la réalité.

 

 

 

A qui revient la faute ? Aux politiques qui ne mettent pas en place des moyens pour la culture, aux organisateurs de spectacles qui n’imposent pas une certaine norme aux artistes qu’ils invitent se produire, ou aux artistes eux-mêmes qui manquent de profondeur ?

 

Etre jeune n’est ni une injure, ni une malédiction. Quand on est sérieux, qu’on se prend au sérieux et qu’on travaille sérieusement, les autres finissent par vous prendre au sérieux. Demandez donc à Blick Bassy, Kareyce Fotso ou Alain Oyono…

 

 

 

On constate que les artistes urbains généralement après un ou deux tubes retombent dans l’ombre, ça confirme la théorie du «second essai n’est jamais le bon» élaborée par toi, il y’a des années…

Absolument. Ça questionne surtout les processus créatifs et la gestion de carrières de ces météorites qui s’arroge trop tôt souvent le nom d’artistes…

 

 

 

On constate aussi que les thèmes récurrents dans les chansons populaires tournent autour du «piment», de la fête, des femmes, la bière…quelle est ton analyse à ce sujet ?

Que l’offre de «piment et de bières» soit croissante d’année en année illustre simplement qu’il y a une demande, un cadre et des opportunités pour l’industrie du vice. Poncepilatisme et hypocrisie nous conduisent souvent à faire des chanteurs les boucs émissaires. Il faut vaincre cette paresse intellectuelle et reconnaitre en nos familles fêtardes, nos églises/mosquées fainéantes, nos magistrats laxistes, nos politiciens libidineux, nos écoles amorphes et nos intellectuels déconnectés les meilleurs complices de l’industrie du vice.

 

 

 

Chaque année à la date de la fête de la musique, on semble avoir une effervescence autour de la musique ; a-t-on encore les raisons de fêter la musique au Cameroun ? Un tel pays ne mérite pas aussi d’avoir une ou plusieurs dates pour fêter sa musique ?

Je vois plus de raisons de fêter la musique que de motifs de ne pas la célébrer. De son vivant, Tom Yom’s a initié une réflexion parallèle à Douala. Une ou douze fêtes de la musique, pour moi, ça reste acceptable.

 

 

Trois auteurs camerounais qui t’inspirent ?

Je ne vous livre pas trois mais cinq auteurs et œuvres camerounaises qui m’ont significativement marqué :

• Eboussi Boulaga, La crise du Muntu, Authenticité africaine et philosophie ;

• Mongo Beti, Main basse sur le Cameroun ;

• Maurice Kamto, L’Urgence de la pensée : réflexions sur une précondition du développement en Afrique ;

• Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit : Essai sur l'Afrique décolonisée ;

• Engelbert Mveng, Théologie, libération et cultures africaines. Dialogue sur l’anthropologie négro-africaine.

 

Publié dans entretiens

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